Relations de confiance après une blessure grave : le point de vue d’un proche aidant ======================================================================================== * Louis Lochhead [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230776](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E1729); [voir les articles connexes ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231583-f](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E274) et [www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231712-f](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/196/E272) Tout a commencé par un accident de la route, durant lequel ma femme Lorraine a subi un traumatisme cranio-cérébral et moi, une lésion de la rate. Heureusement, nos deux enfants, âgés de quatre et huit ans, n’ont subi aucune blessure. Au service des soins intensifs, grâce aux baies vitrées, je peux apercevoir Lorraine dans la chambre en face. Elle est branchée à de nombreux appareils dont un respirateur. J’obtiens mon congé au sixième jour, mais Lorraine demeure à l’hôpital, toujours dans le coma. Puisque j’ai obtenu mon congé de convalescence, je la visite tous les jours. Quelques jours après son hospitalisation, je vois son neurochirurgien apparaître à la porte de la chambre. Heureux de le rencontrer, je m’approche pour lui parler. Il me regarde par-dessus ses lunettes et me dit, d’un air surpris et méfiant: « Et vous êtes? » « Je suis le conjoint de madame. » Ce à quoi il répond, d’un air suspicieux: « Ah, c’est la première fois que je vous vois. » Bien que je sois déçu de son attitude, je lui demande quelles sont les régions du cerveau de Lorraine qui ont été affectées et les conséquences de ses blessures. Il répond: « Le corps calleux est affecté, il y a des lésions axonales diffuses… » et d’autres explications que je ne saisis pas très bien. J’insiste pour connaître les conséquences, mais il ne me fournit que très peu d’information. Le soir même, j’effectue des recherches sur Internet concernant les lésions axonales diffuses et le corps calleux, ce qui m’inquiète encore davantage. Ma première rencontre avec le neurochirurgien n’a pas permis d’établir une relation. J’ai constaté qu’il était distant, et je n’ai jamais pu créer de lien de confiance avec lui durant le séjour de Lorraine à l’hôpital. Toutefois, je faisais confiance aux infirmières, lesquelles étaient professionnelles et attentionnées. Au bout d’un mois, l’infirmière en chef m’informe que le neurochirurgien veut me parler. Je demande à mon beaufrère et à sa fille, qui est infirmière, de m’accompagner. Cependant, la veille de la rencontre, l’infirmière en chef m’annonce que le docteur souhaite la reporter. J’insiste pour que la rencontre ait lieu, car les arrangements mobilisant deux autres personnes étaient déjà pris. Le jour suivant, il arrive avec un peu en retard, l’air contrarié. Le neurochirurgien décrit, de façon très convaincante, une situation catastrophique. « Oubliez la Lorraine que vous connaissez. Si elle arrive à se passer du respirateur, elle sera sûrement dans un état végétatif. Ce n’est pas une belle qualité de vie. » Il dit avoir vu de multiples lésions axonales, que les personnes sous oxygénation contractent souvent des pneumonies ou d’autres infections dues à la sonde, et que les familles demandent souvent à ce que ces infections soient traitées une, deux fois… Je crois comprendre où il veut en venir, et après quelques questions, je mets fin à la rencontre en le remerciant. Je dis ensuite à mon beau-frère et à sa fille que je crois sincèrement que Lorraine nous reviendra. J’apprendrai plus tard que les infirmières et le docteur ont parlé à ma belle-mère, à la famille de ma femme et même à un ami pour les convaincre de me faire « entendre raison ». Parce que je ne faisais pas entièrement confiance au neurochirurgien, et dans l’espoir d’obtenir plus d’information, je demande à voir le dossier de Lorraine; on me remet des photocopies d’une épaisseur de près de 30 centimètres. Évidemment, compte tenu de mon manque d’expertise médicale, je n’arrive pas vraiment à comprendre les notes et gribouillages. Un matin, en arrivant dans sa chambre, je vois que Lorraine n’est plus branchée au respirateur, et ce, malgré les tentatives précédentes qui s’étaient montrées infructueuses. Personne ne m’avait mis au courant de cette évolution encourageante! Quelques jours plus tard, alors que je m’apprête à partir, Lorraine ouvre un œil, me sourit, lève le bras gauche et met sa main sur ma joue! Fou de joie, je me tourne vers le poste des infirmières. Personne! J’aurais tant aimé avoir un témoin. Après quelques minutes, elle referme l’œil. Environ trois semaines plus tard, j’arrive à la chambre de Lorraine peu de temps après ma belle-sœur. Au moment de poser mon café sur le bord de la fenêtre, celle-ci s’exclame: « Elle est réveillée! » L’infirmière arrive dans la chambre et affirme: « Oui, elle est réveillée cette dame, depuis cet après-midi ». Et on ne m’a même pas prévenu! Lorraine est réveillée pour de bon, souriante et capable de nous reconnaître, après deux longs mois dans le coma. Une réadaptation irrégulière et peu efficace s’ensuit, et j’ai la conviction qu’il faudrait rapidement la transférer à un hôpital de réadaptation. Cependant, l’approbation du neurochirurgien n’a pas été facile à obtenir; il ne semble pas croire aux chances de réadaptation de Lorraine. Une autre docteure explique qu’il s’agit d’une décision très importante de transférer une patiente en réadaptation plutôt qu’en CHSLD (centres d’hébergement de soins de longue durée), et que les spécialistes ne sont pas convaincus que Lorraine puisse réellement bénéficier d’une réadaptation. Je comprends ces arguments, mais je sais qu’il est de mon devoir d’insister pour obtenir le transfert. Je suis convaincu qu’on doit essayer la réadaptation intensive au lieu d’accepter que Lorraine vive dans un CHSLD pour le reste de ses jours. Donc, j’ai insisté et obtenu le transfert vers un établissement où une équipe de thérapeutes d’expérience s’appliquera à favoriser le progrès de Lorraine. Nous établissons rapidement une relation de confiance avec la physiothérapeute, l’orthophoniste, l’ergothérapeute, la travailleuse sociale et le personnel infirmier du centre de réadaptation. Des rencontres régulières ont lieu avec toute l’équipe pour discuter du plan d’intervention et des progrès accomplis jusqu’à présent. Nous travaillons en partenariat. J’ai parfois à exprimer les besoins de Lorraine en raison de ses difficultés d’élocution. Lorraine se voit accorder des congés de fin de semaine, et je comprends rapidement que nous allons devoir déménager dans une maison de plain-pied mieux adaptée au fauteuil roulant. Lorsque les progrès de Lorraine atteignent un plateau après six mois de réadaptation, on nous prévient qu’elle obtiendra bientôt son congé. Je négocie alors une prolongation pour pouvoir terminer l’adaptation de notre nouvelle demeure. Le tout se fait dans le respect des personnes, de Lorraine, moi et nos enfants, et de notre projet de vie qui est de déménager dans un résidence adaptée, de continuer la réadaptation dans le privé et de vivre le plus normalement possible. Bien que Lorraine soit hémiplégique, qu’elle soit en fauteuil roulant et qu’elle présente quelques difficultés d’élocution, elle est heureuse d’être en vie et de voir évoluer ses fils, maintenant âgés de 21 et 26 ans. ## Leçons retenues J’aurais aimé pouvoir faire confiance au neurochirurgien et au personnel infirmier de l’unité des soins intensifs, mais puisqu’ils n’ont pas fait preuve de transparence et n’étaient pas disposés à respecter mes besoins d’information et mes souhaits, j’étais plutôt réticent et sur mes gardes. Par contre, il a été facile pour moi de faire confiance au personnel du centre de réadaptation. Les bienfaits de la réadaptation ont été immenses, et ont mené à une qualité de vie à laquelle Lorraine s’est très bien ajustée. Confier, c’est remettre quelqu’un, quelque chose aux mains de quelqu’un, à sa garde. D’autre part, la confiance exprime une foi spontanée ou acquise dans la valeur morale, émotionnelle ou professionnelle d’une autre personne. Il n’est pas toujours facile de faire confiance à quelqu’un, et ce lien peut se briser à tout moment. Dans ce cas, il peut s’écouler beaucoup de temps avant que la confiance soit restaurée, mais il est possible d’y arriver si le personnel de soins de santé agit en partenariat avec les patientes et patients et leur famille. Les professionnels de la santé devraient tendre vers un partenariat avec les patientes et patients et leur famille ainsi qu’avec les personnes proches aidantes, dans le respect du projet de vie des patientes et des patients, tenir compte de la santé physique et mentale des personnes directement touchées et des besoins des membres de la famille dont particulièrement ceux des enfants. La souffrance et l’incertitude causées par le coma prolongé de Lorraine — durant des jours, des semaines, un mois, puis deux — étaient insupportables pour nos enfants et moi. Parce que je n’avais pas l’impression que je pouvais me fier sur le peu d’informations qu’on me donnait sur son état, j’étais encore plus préoccupé. Même s’il pensait que le pronostic de Lorraine était sombre, le neurochirurgien aurait dû faire preuve de compassion (c.-à-d., de l’empathie accompagnée d’un réel désir d’aider), particulièrement lors de notre première rencontre. Lorsque Lorraine s’est éveillée pendant quelques minutes, après un mois dans le coma, je l’ai pris comme un signe qu’elle avait de bonnes chances de s’en remettre. Cela a pu sembler irrationnel et illogique de l’extérieur, mais c’était néanmoins très important pour moi. La communication et la transparence sont essentielles à la création et au maintien de la confiance des patientes et des patients envers le personnel soignant. Toutes les informations pertinentes sur l’état de Lorraine auraient dû m’être transmises rapidement et de façon transparente lorsqu’elle était dans le coma, puis à nous deux lorsqu’elle a repris connaissance. Le manque de communication rapide des informations importantes vient miner la confiance envers le personnel soignant, alors que la communication fluide, transparente et fréquente vient l’alimenter, en plus de favoriser la collaboration. Le personnel infirmier était probablement convaincu que Lorraine n’allait pas pouvoir survivre sans respirateur et se réveiller dans un état autre que végétatif. Cependant, on n’aurait pas dû communiquer avec le reste de la famille derrière mon dos. En tant qu’époux de Lorraine, je détenais un mandat en cas d’inaptitude et j’étais le mieux placé pour parler de la situation avec nos enfants et notre famille. Lors de notre première rencontre, même s’il ne pouvait pas me fournir de réponses précises sur les conséquences du traumatisme crânien de Lorraine, le neurochirurgien aurait pu m’expliquer que la situation était très complexe et le pronostic, incertain. Ma relation avec lui, aussi minime soit-elle puisqu’il gardait ses distances, a été nulle tout au long du séjour de Lorraine à l’hôpital. Je ne lui faisais pas confiance, même si je ne doutais pas de ses compétences en tant que neurochirurgien. Il a été beaucoup plus facile d’établir un lien de confiance avec le personnel de l’hôpital de réadaptation parce que Lorraine était consciente, qu’elle participait au traitement et aux exercices et que nous pouvions constater ses progrès. La communication proactive de bonnes nouvelles est également importante. On m’a répété qu’il était très peu probable que Lorraine puisse un jour vivre sans respirateur. Quand j’ai constaté par moi-même qu’elle respirait sans aide, ce fut une excellente surprise. Toutefois, compte tenu de la nature inattendue et réjouissante de la nouvelle, un simple appel de l’hôpital pour me l’annoncer aurait été un geste sensible, compatissant et humain. ## Footnotes * Cet article a été révisé par des pairs. * Lorraine has given her consent for this story to be told. This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/)