Au Canada, la dépression est fréquente à l’adolescence et peut affecter négativement le fonctionnement et la qualité de vie à long terme; malgré cela, chez la population adolescente la plus affectée, la dépression reste non dépistée et non traitée.
Sa prise en charge requiert une approche multimodale, notamment une évaluation du risque, la psychoéducation, la psychothérapie et les traitements pharmacologiques, et des interventions visant à corriger les facteurs contributifs.
Le soutien des psychiatres pour l’enfance et l’adolescence peut être requis quand le diagnostic est incertain et que les tableaux cliniques sont complexes, également chez les jeunes qui ne répondent pas bien aux traitements de première intention.
La dépression est fréquente; c’est une importante cause d’incapacité qui alourdit considérablement la charge mondiale de morbidité1. Même si plus de 40 % des personnes atteintes de dépression en manifestent les premiers signes avant l’âge adulte, elle demeure souvent non détectée chez la population adolescente au Canada et la plupart de ces personnes ne sont pas traitées2–4. Souvent, les médecins ne se sentent pas à l’aise de soigner la population adolescente atteinte de dépression5. Nous passons ici en revue le diagnostic et le traitement de la dépression à l’adolescence sur la base des données existantes et des recommandations tirées de lignes directrices internationales, résumées dans l’encadré 1.
Encadré 1: Données probantes employées dans la présente revue
Nous avons réalisé une interrogation ciblée des réseaux MEDLINE, PubMed et PsycINFO à partir des mots clés et des rubriques concernant la dépression (« depress* » ou « dysthymia » ou « mood disorder », les termes médicaux de recherche [MeSH] en langue anglaise « Depressive Disorder ») pour l’enfance et l’adolescence (« youth* », « adolescen* », « child », « pediatric », « paediatric », les termes MeSH « Child », « Child, Preschool » et « Adolescent »). L’interrogation incluait les études sur des sujets humains publiées en langue anglaise, de la création des bases de données jusqu’au 16 mai 2022. Nous avons identifié d’autres sources en examinant les listes bibliographiques des articles retenus. Nous avons inclus les revues systématiques et narratives, les essais randomisés contrôlés et les études de cohorte qui portaient sur le diagnostic ou la prise en charge du trouble dépressif majeur ou du trouble dépressif persistant chez les jeunes de 18 ans et moins. Nous avons aussi passé en revue les lignes directrices de pratique clinique pertinentes du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Quel est le fardeau de la dépression à l’adolescence?
La prévalence de la dépression à l’adolescence augmente avec l’âge4. Avant la pandémie de COVID-19, la prévalence du trouble dépressif majeur (TDM) chez la population adolescente se situait à environ 13 %–15 %6,7. Selon une récente méta-analyse, environ 1 jeune sur 4 a présenté des symptômes dépressifs cliniquement significatifs durant la pandémie de COVID-19; ces taux étaient proportionnels à l’âge et plus élevés chez les adolescentes; la méta-analyse a aussi révélé la prévalence de symptômes plus marqués à mesure que la pandémie perdurait8.
Le déclenchement de la dépression avant l’âge adulte est associé à une forme plus grave de la maladie lorsque cet âge est atteint (c.-à-d., augmentation du nombre des épisodes dépressifs, des hospitalisations pour dépression, et du risque de gestes autodestructeurs et suicidaires), à un moins bon état de santé physique (notamment obésité, diabète, maladies cardiovasculaires) 9,10 et à des problèmes sociaux et professionnels.
Quels sont les moteurs multifactoriels de la dépression?
Diverses interactions entre facteurs génétiques et environnementaux accroissent le risque de dépression ou la résilience à son endroit durant l’enfance et l’adolescence11,12. Des antécédents familiaux de dépression sont associés à un risque de 3–5 fois plus grand de dépression chez les jeunes plus âgés13, et des études génomiques ont identifié plusieurs loci en corrélation avec le TDM12. Certains mécanismes peuvent entrer en jeu dans la transmission intergénérationnelle de la dépression, y compris la transmission de gènes associés à des traits psychologiques susceptibles d’accroître le risque de dépression14, l’exposition à la dépression parentale durant la période postnatale15, des traumatismes subis durant l’enfance16 et les conflits familiaux17. La stigmatisation et l’intimidation ont été reliées à des taux accrus de dépression chez la population adolescente LGBTQ2+18. Selon des données américaines, l’intersectionnalité touchant la race et le genre exacerberait la dépression19.
Comment diagnostique-t-on la dépression durant l’enfance et l’adolescence?
Les critères diagnostiques du TDM et du trouble dépressif persistant sont résumés au tableau 1. Comparativement à la dépression chez l’adulte, la dépression durant l’enfance et l’adolescence irait davantage de pair avec une humeur irritable ou labile qu’avec une humeur sombre, avec certains problèmes somatiques et le repli sur soi21,22. Le déclenchement de la dépression avant l’âge adulte peut aussi être associé à des caractéristiques atypiques, comme l’hypersomnie et un appétit accru23. Comparativement à la petite enfance, l’adolescence est moins propice à l’anxiété, aux symptômes somatiques, à l’agitation psychomotrice et aux hallucinations24,25.
L’évaluation du risque est un élément crucial face à un cas présumé de dépression et inclut: dépistage des idées, intentions ou plans suicidaires, épisodes récents de désespoir, fastidiosité perçue et impulsivité, antécédents de tentatives suicidaires et d’automutilation non suicidaire, facteurs de stress situationnels et facteurs protecteurs, comme diverses formes de soutien et l’orientation future en la matière2,26,27. Des échelles validées comme l’Échelle d’évaluation de Columbia sur la gravité du risque suicidaire peuvent étayer l’avis clinique28,29.
Les médecins doivent-ils dépister la dépression à l’adolescence?
Même si aucune donnée directe n’indique actuellement qu’un dépistage systématique du TDM en médecine de premier recours améliore les résultats, des données indirectes permettent de supposer que le traitement du TDM détecté lors d’un dépistage est associé à des bienfaits modérés30. Le Groupe d’étude américain sur les soins de santé préventifs (ou USPSTF pour United States Preventive Services Task Force) et la plupart des lignes directrices de pratique clinique (tableau 2) recommandent le dépistage de la dépression en soins primaires chez les jeunes de 12–18 ans. En 2005, le Groupe d’études canadien sur les soins de santé préventifs déconseillait le dépistage systématique chez les jeunes39 en concluant qu’il fallait approfondir la recherche sur les risques et les bienfaits associés; une ligne directrice mise à jour est attendue47. Le dépistage dans ce groupe d’âge pourrait toutefois être une approche envisageable si elle se fait dans le cadre de systèmes adéquats, capables d’assurer un diagnostic exact et un suivi approprié30.
On trouve au tableau 3 une liste d’outils validés pour le dépistage de la dépression à l’adolescence. À l’instar des recommandations de l’USPSTF et de l’évaluation des lignes directrices (tableau 2)43, nous suggérons le questionnaire PHQ 9 sur la santé des patients (Patient Health Questionnaire-9) et le questionnaire PHQ modifié pour l’adolescence (PHQ-A), ou l’Échelle d’évaluation de la dépression chez les enfants du Centre d’études épidémiologiques (ou CES-DC pour Center for Epidemiologic Studies Depression Scale for Children), qui appartiennent tous au domaine public54. Le PHQ-2 (qui n’inclut aucune question sur les idées suicidaires) peut être approprié pour un dépistage initial à distance, suivi du PHQ-9 en consultation externe, si le test initial se révèle positif34. Les mêmes outils peuvent être utilisés pour la surveillance de la réponse au traitement. Il faut un examen approfondi pour poser le diagnostic. Le témoignage des parents ou autres proches en mesure de commenter les principaux symptômes et le fonctionnement est utile55. Des outils plus généraux, comme le questionnaire SSHADESS (pour strengths, school, home, activities, drugs and substance use, emotions, eating, and depression, sexuality and safety)56 qui évalue les forces, le rendement scolaire, le comportement à domicile, la consommation de drogues ou autres substances psychoactives, les émotions, l’alimentation et la dépression, la sexualité et la sécurité, permettent d’identifier certains facteurs de risques à l’égard des problèmes de santé mentale, mais ne sont pas validés en tant qu’outils de dépistage des troubles psychiatriques.
Avant de procéder à l’évaluation, les médecins devraient revoir les règles et les limites concernant la protection de la vie privée auprès de la patientèle et des proches responsables en réitérant le respect de l’autonomie et en répondant aux questions sur la transmission ou l’accessibilité des renseignements médicaux personnels. Les limites de la confidentialité doivent aussi être respectées, y compris les situations où le médecin serait obligé de transmettre des renseignements aux parents, aux tuteurs ou à d’autres services. La personne adolescente et son proche responsable peuvent être vus ensemble initialement, puis séparément, selon le niveau de confort de la personne. Lorsque cette dernière refuse que soient révélés des détails spécifiques de l’examen à ses proches responsables, nous suggérons de travailler en collaboration pour comprendre les obstacles à la divulgation et les façons de faciliter le partage d’informations susceptibles d’aider les parents à offrir leur soutien. Si des enjeux de sécurité sont soulevés en lien avec la prise en charge et qu’ils doivent être partagés avec les parents, les médecins doivent en informer la jeune personne et l’inciter à discuter de la façon de procéder.
Quels sont les diagnostics différentiels à considérer?
Les diagnostics différentiels du TDM incluent les troubles de l’adaptation avec humeur dépressive, tristesse ou irritabilité en lien avec des facteurs de stress situationnels, le trouble dépressif persistant (sans antécédents d’épisodes dépressifs majeurs) et le trouble bipolaire. Les médecins doivent vérifier si l’usage de substances psychoactives et de médicaments contribue au tableau clinique. La démoralisation et la dysphorie peuvent être secondaires à d’autres problèmes de santé mentale ou physique ou à des facteurs psychosociaux. Le trouble bipolaire est souvent pris à tort initialement pour un TDM unipolaire parce que, dans bien des cas, la dysphorie de départ est un épisode dépressif; il est également difficile parfois de débusquer les symptômes d’hypomanie s’ils sont subtils ou passagers36,57. Le tableau 4 dresse une liste d’autres facteurs de risque à l’égard du trouble bipolaire.
Plus de 60 % de la population adolescente atteinte de TDM présenterait concomitamment au moins 1 autre problème de santé mentale2; le plus souvent, il s’agit d’un trouble anxieux, d’un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), d’un trouble d’opposition avec provocation, d’un trouble de la conduite et de toxicomanie; on peut également mentionner les troubles alimentaires, les troubles d’apprentissage et les troubles somatiques64. Les jeunes qui souffrent de problèmes de santé chroniques, comme la douleur chronique, certaines maladies neurologiques, auto-immunes ou inflammatoires présentent aussi des taux plus élevés de symptômes dépressifs56,65,66. Parmi ces jeunes, les symptômes de fatigue, une baisse de la concentration, des troubles du sommeil et de l’appétit peuvent recouper ceux de la dépression, ce qui rend le diagnostic plus complexe; la culpabilité, le désespoir, la dévalorisation ou les idées suicidaires font soupçonner un TDM67. On observe souvent un lien réciproque entre les comorbidités psychiatriques (p. ex., TDAH, anxiété, troubles de l’apprentissage) et physiques et la dépression; des maladies préexistantes sont souvent des facteurs qui prédisposent à un éventuel diagnostic de TDM. De plus, le TDM est souvent un facteur de risque indépendant de piètre réponse au traitement et de morbidité accrue (c.-à-d., d’autres problèmes de santé physique et psychiatrique)68.
Certaines maladies physiques peuvent aussi faire penser à un trouble dépressif primaire, par exemple l’hypothyroïdie, l’anémie et la mononucléose, les traumatismes crâniens et les troubles auto-immuns33. L’examen physique et des analyses comme la formule sanguine complète et le dosage des taux de thyréostimuline sont souvent appropriés pour écarter un diagnostic d’anémie et d’hypothyroïdie. Des analyses de laboratoire plus poussées, l’électrocardiogramme, l’électro-encéphalogramme et la neuro-imagerie sont en général superflus, mais seraient à envisager dans certains cas selon la situation et les conclusions de l’examen physique.
Comme soigne-t-on la dépression à l’adolescence?
Durant l’enfance et l’adolescence, un plan de traitement multimodal de la dépression commence par la psychoéducation et peut inclure des modifications à l’hygiène de vie, la psychothérapie et la prise de médicaments, en plus d’une correction des facteurs contributifs potentiels. On encourage une surveillance des symptômes en cours de traitement à l’aide d’outils validés et standardisés (tableau 3). À retenir: l’évaluation du risque suicidaire s’impose pour bien adapter les plans de traitement en consultation externe et les plans de sécurité.
La psychoéducation offre aux jeunes et à leurs familles la possibilité de mieux comprendre les facteurs contributifs, le diagnostic et le déroulement du traitement. Cette compréhension partagée est essentielle à l’engagement vis-à-vis du traitement2,69. Elle peut être utile aux proches, même si les jeunes dépressifs sont réticents à participer activement à leur traitement, car les techniques employées facilitent la résolution de problèmes et améliorent la communication au sein des familles34.
Mesures liées à l’hygiène de vie
Les interventions liées à l’hygiène de vie incluent des stratégies visant à améliorer l’activité physique, l’alimentation et le sommeil. Des revues systématiques regroupant des études observationnelles ont révélé que certaines habitudes malsaines sont particulièrement associées à des symptômes dépressifs durant l’enfance et à l’adolescence70. Même si les interventions liées à l’hygiène de vie s’appuient sur les lignes directrices de pratique clinique, particulièrement en ce qui concerne la prise en charge du TDM de léger à modéré, les données sont moins robustes que chez la population adulte atteinte de TDM71. Les médecins doivent éviter de surévaluer l’effet des interventions liées à l’hygiène de vie appliquées seules chez les jeunes atteints de TDM de modéré à grave. Étant donné que l’efficacité varie d’une personne à l’autre, les jeunes déprimés se sentent souvent responsables de leur maladie, et leurs symptômes dépressifs (p. ex., fatigue, anhédonie, troubles de l’appétit) sont en soi des facteurs qui contribuent à entretenir des habitudes malsaines. Il faudra approfondir la recherche pour mieux caractériser l’utilisation optimale des interventions liées à l’hygiène de vie, les facteurs spécifiques à la personne et à sa maladie les plus susceptibles de répondre à ces stratégies et l’ampleur de l’effet que les jeunes, leurs proches et leurs médecins peuvent en espérer.
La pratique régulière d’activité physique de modérée à vigoureuse améliorerait l’humeur chez les jeunes72,73. Selon certaines études, même de brèves périodes d’exercice peuvent être efficaces74. Les avantages potentiels de l’activité physique seule sont plus marqués lorsque les symptômes dépressifs sont de légers à modérés. Un lien entre de mauvaises habitudes alimentaires et les symptômes dépressifs plus marqués est ressorti de certaines études observationnelles70,75. Des essais randomisés contrôlés (ERC) sur des interventions diététiques chez les adultes atteints de TDM laissent entendre qu’un régime qui comprend moins de boissons sucrées, de produits alimentaires transformés et de viande et plus de légumes, de fruits et de légumineuses est associé à moins de symptômes dépressifs76.
La luminothérapie a été évaluée dans quelques petits essais sur des jeunes et les résultats semblent positifs, particulièrement en ce qui concerne la dépression saisonnière77.
Psychothérapie
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est la forme de psychothérapie pour laquelle on dispose du plus grand nombre de données quant à son efficacité pour traiter la dépression à l’adolescence78,79. Cette approche cible les distorsions cognitives, les pensées intrusives négatives et les manifestations comportementales de la dépression comme l’anhédonie et la baisse de motivation34. À l’adolescence, les symptômes dépressifs plus graves, une piètre capacité d’adaptation et les gestes autodestructeurs non suicidaires ont tendance à moins bien répondre à la TCC80. On dispose de données sur l’efficacité de la thérapie interpersonnelle, en particulier si elle est adaptée à la population adolescente78,81. La thérapie interpersonnelle s’attarde au rôle des rapports interpersonnels dans la dépression en visant à réduire le stress relationnel et à améliorer le fonctionnement social34. Un nombre plus grand d’études appuie la TCC et la thérapie interpersonnelle individuelles plutôt qu’en groupe78. La TCC ou la thérapie interpersonnelle par ordinateur seraient aussi efficaces que leurs versions en personne82, même s’il est difficile de déterminer leurs plus importants éléments et les meilleures personnes candidates à ces types d’intervention en raison de la grande diversité des formats utilisés (p. ex., vidéoclips, textos, images, jeux vidéos, vidéobavardage avec des thérapeutes dûment formés ou des robots) lors des études ayant porté sur les traitements mettant l’informatique à contribution. La TCC et la thérapie interpersonnelle se sont également révélées aptes à améliorer l’humeur des personnes adolescentes ayant des symptômes dépressifs limites, mais les études n’ont pas démontré s’il est possible de prévenir la progression vers un TDM manifeste au moyen de ces interventions. L’engagement des proches responsables semble favoriser une meilleure réponse que les thérapies qui n’impliquent que la personne adolescente83. Même si la thérapie familiale, la méditation pleine conscience et la thérapie psychodynamique de courte durée peuvent être utiles, les données à l’appui de leur utilisation sont plus modestes que pour la TCC ou la thérapie interpersonnelle78,84. La thérapie comportementale dialectique a donné des résultats prometteurs, plus précisément pour ce qui est de réduire les idées suicidaires et les gestes autodestructeurs non suicidaires à l’adolescence59. Les thérapies axées sur l’acceptation et l’engagement, une technique qui met l’accent sur la reconnaissance et la validation de la souffrance émotionnelle inhérente à la dépression et sur la création de stratégies pour la surmonter, suscitent l’intérêt depuis peu, mais pour l’instant, les données qui en appuient l’efficacité sont limitées.
Médicaments
La décision de commencer un traitement pharmacologique pour la dépression doit être prise conjointement avec la personne et ses proches responsables en tenant compte du tableau clinique et après que le médecin leur ait présenté l’éventail des options thérapeutiques fondées sur des données probantes34. Les antidépresseurs sont recommandés chez les jeunes qui présentent un tableau clinique grave ou lorsque la psychothérapie est inefficace ou impossible34. Il faut mettre dans la balance les risques de la pharmacothérapie et les risques d’un traitement inadéquat de la dépression chez cette population vulnérable85. La plupart des lignes directrices cliniques, y compris celle de 2019 de l’Institut national pour l’excellence en matière de soins de santé du Royaume-Uni (National Institute for Health and Care Excellence), recommandent un traitement initial par psychothérapie seulement plutôt qu’un traitement d’association étant donné les effets indésirables potentiels des médicaments40. Certaines lignes directrices préconisent l’essai de la psychoéducation et de modifications à l’hygiène de vie pendant 2 semaines ou de 4–6 séances d’un type de psychothérapie validé, comme la TCC ou la thérapie interpersonnelle, avant d’envisager les antidépresseurs34,38,40.
La fluoxétine est l’agent de première intention recommandé dans la plupart des lignes directrices. Une méta-analyse de 2020 regroupant des ERC a laissé entendre que seules la fluoxétine avec TCC ou la fluoxétine seule sont plus efficaces que le placebo et d’autres interventions chez les jeunes atteints de dépression86. Les essais randomisés contrôlés ayant porté sur d’autres inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ont fait état d’une efficacité similaire à celle de la fluoxétine, mais de taux de réponse inégaux au placebo, ce qui permet de supposer que prétendre que la fluoxétine est le seul ISRS efficace serait une distorsion due aux différents protocoles des essais sur les ISRS87,88. Des données de qualité moyenne appuient l’utilisation de la sertraline et de l’escitalopram37. La plupart des lignes directrices cliniques recommandent au moins 2 essais complets d’ISRS avant d’envisager d’autres classes d’antidépresseurs, étant donné les données d’efficacité limitées et la tolérabilité moindre des autres classes de médicaments chez les jeunes88. On commence habituellement la fluoxétine à raison de 10 mg/j, portée à 20 g/j 1 semaine plus tard; il faut parfois 2–6 semaines avant d’observer des effets positifs. Selon le plus volumineux ERC sur la fluoxétine pour le traitement du TDM chez les jeunes, le nombre de sujets à traiter pour observer une réponse (définie par une amélioration très importante ou importante à l’Échelle d’impression clinique globale) est de 4 au cours des 12 premières semaines89. Si la fluoxétine pose des problèmes de tolérabilité ou d’efficacité, les médecins devraient tenir compte de la pharmacocinétique et de la tolérabilité au moment de choisir un autre ISRS qui repose sur des données d’efficacité modestes pour la dépression à l’adolescence (p. ex., sertraline, escitalopram). Lors du traitement par ISRS, il faut surveiller régulièrement la réponse clinique et optimiser la dose au besoin et selon la tolérabilité dans le but d’obtenir une rémission complète des symptômes90. Une bonne réponse aux ISRS se manifeste par une amélioration graduelle des symptômes, et des effets indésirables relativement légers qui rentrent dans l’ordre avec la poursuite du traitement. Une fois la rémission complète obtenue, le traitement par ISRS doit être maintenu à la posologie thérapeutique pendant au moins 6–12 mois avant d’envisager un sevrage graduel.
L’exposition aux antidépresseurs a été associée à un risque accru d’idées et de comportements suicidaires chez environ 2 % des jeunes atteints de dépression, particulièrement au cours des premières semaines de traitement91. Les médecins doivent parler de ces risques avec les jeunes et leurs proches responsables avant de commencer le médicament en tenant compte que sans traitement, la dépression est en soi un facteur de risque majeur à l’égard du suicide.
De légers effets gastro-intestinaux sont courants au cours des 4 premières semaines de traitement et rentrent habituellement dans l’ordre en l’espace de 8 semaines92. Transitoire, l’insomnie peut être atténuée par la prise des médicaments le matin92. Des symptômes d’activation, comme l’agitation, la nervosité ou l’anxiété, peuvent survenir en début de traitement si l’ajustement posologique est trop rapide92.
Les lignes directrices actuelles ne recommandent pas le recours aux médecines douces ou alternatives34,40. Les données préliminaires sont prometteuses en ce qui concerne le millepertuis et, dans une moindre mesure, la S-adénosylméthionine et le 5-hydroxytryptophane93. Mais les études sur ces agents ont eu tendance à être de petite taille et à se dérouler sans témoins sous placebo comparativement aux études sur les modifications à l’hygiène de vie. Les effets indésirables et les interactions médicamenteuses sont dignes de mention: le millepertuis active les enzymes de la famille des cytochromes P450 (CYP3A4, CYP2D9 et CYP2C19), ce qui réduit l’efficacité de médicaments tels que les contraceptifs oraux, la warfarine, la cyclosporine et l’indinavir. La qualité et la teneur en principes actifs (hypéricine et hyperforine) de ces préparations sont grandement variables, ce qui complique l’optimisation de leur posologie et la gestion de leurs effets indésirables93.
En l’absence de réponse adéquate au traitement pour le TDM, il est conseillé de revoir les diagnostics différentiels et d’envisager une demande de consultation. Le soutien en médecine de spécialité est requis pour les jeunes qui présentent des problèmes de sécurité à court terme, pour les tableaux cliniques complexes qui incluent des symptômes de bipolarité ou en l’absence de réponse au traitement de première intention (encadré 2).
Encadré 2: Quand faut-il se tourner vers la psychiatrie ou d’autres soins spécialisés
Clarification du diagnostic, particulièrement en présence de
Traits psychotiques
Hypomanie ou manie
Comorbidités influant sur le diagnostic et le traitement (p. ex., toxicomanie, traumatisme, trouble du spectre de l’autisme, autres troubles neurodéveloppementaux)
Comportement suicidaire ou meurtrier ou enjeux de sécurité à brève échéance
Grave dysfonctionnement ou stresseurs psychosociaux
Absence de réponse au traitement ou effets indésirables graves du traitement
Dépression récurrente ou persistante
Prise en charge des comorbidités psychiatriques qui ne répondent pas au traitement
Conclusion
La dépression est de plus en plus courante à l’adolescence et les médecins de soins primaires et les pédiatres sont bien placés pour procéder à l’évaluation et au traitement de première intention de la dépression chez cette population, et aider ainsi les jeunes à retrouver un bon état de santé et un fonctionnement normal. Il faudra approfondir la recherche sur d’importantes questions cliniques relatives au dépistage et au traitement de la dépression à l’adolescence (encadré 3).
Encadré 3: Questions sans réponses
Quels sont les différents effets de la pandémie de COVID-19 sur la prévalence des troubles dépressifs chez certaines catégories de jeunes au Canada?
Le dépistage de la dépression en médecine de soins primaires et en contexte scolaire améliore-t-il les résultats?
Comment les interventions liées à l’hygiène de vie peuvent-elles être utilisées plus efficacement pour améliorer les symptômes dépressifs?
Quels facteurs liés à la personne, à sa famille et au traitement affectent les résultats des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, de la psychothérapie et des traitements d’association?
Footnotes
Intérêts concurrents: Daphne Korczak déclare avoir reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Fondation de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto (SickKids) de l’Université de Toronto et du ministère de la Santé et des soins de longue durée de l’Ontario, ainsi que des bourses de déplacement de la Société canadienne de pédiatrie et de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Elle est présidente du Groupe de travail sur la santé mentale de la Société canadienne de pédiatrie et du Comité de la recherche scientifique de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Clara Westwell-Roper déclare avoir reçu des subventions de la Fondation internationale du TOC, de l’Institut de recherche de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique et du Département de psychiatrie de l’Université de la Colombie-Britannique. Roberto Sassi déclare avoir reçu des subventions des IRSC, de l’Institut de recherche Juravinski et du Réseau hospitalier des sciences de la santé de Hamilton, et des bourses de déplacement de l’Autorité provinciale des services de santé. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception et à la modélisation de l’article et à l’interprétation de la documentation pertinente. Tous les auteurs ont participé à la rédaction du manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée, et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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