Le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) a récemment recommandé de porter à 3 ans les programmes de résidence en médecine familiale au Canada pour aider les futurs médecins à mieux répondre aux besoins sociétaux et à gérer les enjeux de complexité et de comorbidités.
Une refonte des programmes est bienvenue, mais il faudra prendre en compte d’importants facteurs en cours de transition, y compris le risque qu’une formation prolongée contribue à amplifier le désintérêt à l’endroit de la médecine familiale et ses répercussions sur le nombre de futurs médecins qui se destinent à un domaine ciblé de la pratique.
Nous arrivons à un moment décisif où les responsables du CMFC et des programmes de formation postdoctorale devront faire preuve de créativité dans l’élaboration des programmes de médecine familiale pour les rendre attractifs.
Il importe de remanier les programmes, mais cela ne sera pas suffisant pour renforcer les soins primaires au Canada; il faudra s’attaquer à différents enjeux à l’échelle des systèmes, des organisations et des individus pour améliorer l’offre de soins primaires complets et continus partout au pays.
En 2022, le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) a publié le dernier rapport de son projet sur les finalités d’apprentissage incluant la recommandation de porter la formation de résidence en médecine familiale de 2 à 3 ans1. Avec ce programme de formation prolongé, le CMFC se donne pour objectif d’aider les médecins de famille à être « au sommet de leur art », à répondre aux besoins sociétaux et à gérer les enjeux de complexité et de comorbidités grâce à une offre de soins primaires complets1. Bien que cette initiative de remaniement des programmes soit la bienvenue, il faudra tenir compte d’importants facteurs en cours de transition.
Selon un rapport du CMFC, parmi les importants facteurs qui déterminent les types de services offerts par les médecins de famille, il faut mentionner un manque perçu d’aisance et de préparation ou un manque d’intérêt pour certains domaines particuliers, les obligations personnelles, les modèles de pratique, la localisation des pratiques, les exigences sur le plan des titres et attestations et la rémunération2. Même si un programme prolongé peut favoriser l’acquisition de compétences et d’expertise, rien ne garantit que les soins offerts en seront plus complets. Il faudra insuffler des changements à l’échelle des systèmes et des organisations et porter une attention particulière aux facteurs individuels, en plus d’améliorer la formation elle-même. Cela inclut alléger le fardeau administratif, faciliter la conciliation famille–travail–études et mettre en lumière les perceptions sociétales et professionnelles du médecin de famille.
À l’heure actuelle, le CMFC demande que les programmes de résidence en médecine familiale forment leurs médecins dans le contexte des « centres de médecine de famille », avec une équipe interprofessionnelle qui travaille en collaboration3. Or, les diplômées et les diplômés semblent éprouver de la difficulté à se tailler une place au sein de ces groupes. Pour mieux soutenir les soins primaires, les gouvernements provinciaux doivent donc financer et développer ces modèles pour mieux soutenir les collectivités et améliorer leur accès aux soins. Le gouvernement fédéral s’est déjà engagé à améliorer le financement des soins primaires et la réforme de la rémunération en soins primaires à l’échelle provinciale s’est révélée prometteuse4. Il est crucial d’améliorer l’accès à ces modèles de soins pour aider la médecine familiale communautaire à voir un plus grand nombre de malades, pour rendre la carrière en soins primaires plus attirante, et s’assurer que les nouveaux médecins formés pour offrir des soins complets n’aient pas de bâtons dans les roues une fois leur diplôme en poche.
Passer à un programme de résidence de 3 ans en médecine familiale pourrait aussi refroidir l’intérêt à son endroit, surtout dans un contexte où cette spécialité rallie moins d’adeptes, comme en témoigne un nombre record de postes de résidence vacants en 20235. On ne dispose pas de données canadiennes suffisantes sur l’intérêt à l’endroit d’une résidence de 3 ans en médecine familiale ou sur son acceptabilité. Il a toutefois été démontré que la durée de la résidence influerait sur les choix de carrière6. Aux États-Unis, une série de cas comparatifs n’a pas été en mesure de déterminer la durée idéale des programmes de résidence en médecine familiale, mais a permis d’observer que l’innovation appliquée aux programmes était en corrélation avec une augmentation du nombre de demandes d’admission en médecine et à des taux plus élevés d’embauches hospitalières en obstétrique et en soins de longue durée7. On ignore si ces observations sont applicables au Canada.
Les Certificats en compétences additionnelles et les pratiques ciblées (p. ex., médecine d’urgence, soins palliatifs et médecine des toxicomanies) sont souvent cités comme des obstacles au choix de prodiguer des soins primaires complets8. La pratique dans un domaine ciblé aurait un effet protecteur contre l’épuisement professionnel, parfois associé à la prestation de soins primaires complets dans le contexte actuel des systèmes de santé canadiens9. De plus, une proportion importante du corps médical canadien inclut des médecins de famille détenant des Certificats en compétences additionnelles (CCA) de différents domaines ciblés10. Pour l’instant, de l’avis du CMFC, passer à un programme de formation échelonné sur 3 ans pourrait signifier que les résidentes et résidents devront faire une quatrième année de formation en compétences additionnelles si un certificat de compétences additionnelles les intéresse; il y a là une menace, car leurs contingents pourraient alors diminuer à la quatrième année. Les répercussions possibles d’une baisse du nombre de médecins de famille détenant des CCA sont inconnues et vraisemblablement négatives.
Il s’agit donc d’un moment décisif où les responsables du CMFC et des programmes de formation postdoctoraux devront faire preuve de créativité dans l’élaboration des programmes. Pour répondre aux besoins de la patientèle, éviter l’épuisement professionnel du corps médical et soutenir la formation professionnelle des médecins de famille, nous recommandons de concevoir des programmes qui maximisent la formation en soins complets tout en permettant également aux résidentes et résidents de choisir un domaine d’intérêt ciblé durant leur résidence en médecine familiale. À l’Université de Toronto, nous avons testé un programme de 3 ans en médecine familiale, que nous avons intégré à des programmes de soins palliatifs et de soins aux personnes aînées, en entreprenant une évaluation en parallèle. Les paramètres pressentis pour cette évaluation incluaient la faisabilité et l’acceptabilité au cours des 2 premières années. L’étude qualitative a été menée auprès de résidentes et résidents, de direction de programmes et de groupes de médecine familiale, du corps professoral et de l’administration. Les résultats préliminaires semblent appuyer le potentiel du programme intégré pour l’amélioration d’une expertise ciblée dans le contexte d’une formation en soins complets. Un prochain objectif serait d’élargir la portée des interventions et de suivre de manière prospective les modes de pratique adoptés. Cela ne veut pas dire que ce parcours conduira nécessairement à l’admissibilité au CCA. Le programme pilote représente plutôt une occasion d’acquérir plus de savoirs et d’aisance dans un domaine de compétences additionnelles afin que les médecins amorcent leur carrière avec un ensemble plus complet d’habiletés et d’expertise. Cela illustre comment des programmes innovants peuvent rendre la médecine familiale plus attrayante, tout en élargissant l’éventail des pratiques, une fois le diplôme obtenu. Il est cependant essentiel que tout programme avant-gardiste tienne aussi compte de la formation intégrée en médecine familiale et que les paramètres soient soigneusement évalués.
Il est essentiel d’offrir des programmes innovants pour susciter l’intérêt à l’endroit de la médecine familiale et s’assurer que les médecins arrivent bien préparés sur le marché du travail pour offrir des soins primaires complets. Mais à elle seule, une réforme des programmes est peu susceptible d’améliorer l’offre de soins complets et continus. Pour attirer des médecins compétents en médecine familiale, il faudra s’attaquer à certains enjeux à l’échelle des systèmes, des organisations et des individus, tout en mettant en place des programmes propices à une solide formation en médecine familiale.
Footnotes
Intérêts concurrents: Giovanna Sirianni a récemment terminé son mandat de directrice des programmes de Certificats de compétences additionnelles/postdoctorales de 3e année au Département de médecine familiale et communautaire et elle a été bénéficiaire de nombreuses subventions à la formation provenant d’organismes à but non lucratif. Elle n’a aucun lien avec des sociétés à but lucratif. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les deux autrices ont contribué à la conception du travail, ont rédigé l’ébauche du manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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