Les pharmacothérapies antitabagiques, comme la varénicline, le bupropion, la thérapie de remplacement de la nicotine et la cytisine, améliorent les taux d’abandon du tabagisme.
Malgré leur faible coût et leurs bienfaits cliniques importants, ces médicaments font l’objet d’une couverture limitée par les régimes d’assurance médicaments des provinces.
Les gouvernements des provinces devraient supprimer les restrictions de la couverture de la pharmacothérapie antitabagique de leurs régimes d’assurance médicaments.
En 2010, un éditorial du JAMC militait pour que les gouvernements remboursent les pharmacothérapies antitabagiques1. Treize ans plus tard, de graves lacunes perdurent dans la couverture de ces médicaments efficaces et peu coûteux, y compris par les régimes d’assurance médicaments des provinces. Le tabagisme compte parmi les principales causes de mort évitable au Canada2; il est grand temps que les gouvernements garantissent l’accès aux médicaments de désaccoutumance à toutes les personnes inscrites aux régimes d’assurance médicaments provinciaux.
Les pharmacothérapies sont efficaces pour l’abandon du tabagisme. Dans un essai clinique contrôlé randomisé de phase IV, chez les personnes ayant reçu de la varénicline pendant 12 semaines, le taux d’abandon du tabagisme était de 22 % après 24 semaines, contre 9 % chez celles ayant pris un placebo3. Des méta-analyses ont révélé que la thérapie de remplacement de la nicotine (TRN) d’association, qui combine un timbre de nicotine et une préparation de nicotine à action rapide, produit des taux d’abandon semblables à ceux de la varénicline4. De même, la cytisine, autre pharmacothérapie d’abandon du tabagisme, a une ampleur d’effet comparable à celle de la varénicline5, tandis que l’ampleur de l’effet du bupropion est inférieure à celle de la varénicline, mais supérieure au placebo pour l’arrêt du tabagisme3,4.
Les régimes d’assurance médicaments des provinces, qui couvrent généralement les personnes bénéficiaires de l’aide sociale ou répondant à des critères d’âge et de revenu, limitent le remboursement de ces médicaments6. Le remboursement de la TRN et de la cytisine est limité, notamment parce que ces options sont homologuées par Santé Canada comme produits de santé naturels. Par exemple, le Programme de médicaments de l’Ontario ne rembourse généralement pas les produits de santé naturels. Les résidents de cette province peuvent néanmoins obtenir de 8–26 semaines de TRN en s’inscrivant au programme Traitement antitabac pour les patients de l’Ontario (https://www.nicotinedependenceclinic.com/en/stop/home). La nécessité de s’inscrire à un programme précis constitue toutefois un obstacle pour qui espère entreprendre ou poursuivre une TRN, y compris après un séjour hospitalier, une visite au service d’urgence ou une consultation auprès de spécialistes non inscrits. En Colombie-Britannique, l’assurance médicaments publique couvre jusqu’à 12 semaines de TRN, à condition que les personnes n’aient pas bénéficié d’autres pharmacothérapies d’abandon du tabagism au cours de l’année. En Alberta, la TRN est assujettie à un plafond à vie de 500 $ de TRN. Aucun de ces programmes ne rembourse la cytisine.
La varénicline, un agoniste partiel du récepteur nicotinique α4β2, est soumise à des plafonds annuels par les assurances publiques, allant de 12 semaines en Ontario et en Colombie-Britannique à 24 semaines au Québec et en Alberta. Ces plafonds sont fondés sur les durées de prescription des essais contrôlés par placebo et sur une étude comparant la prise de varénicline pendant 12 et 24 semaines qui a révélé que l’administration prolongée n’apportait aucun bienfait supplémentaire aux personnes prêtes à abandonner le tabac7. D’autres études ont toutefois révélé qu’un traitement plus long était bénéfique chez les personnes atteintes de maladies mentales graves et celles souhaitant un arrêt progressif. Parmi des personnes atteintes de schizophrénie et de trouble bipolaire qui ont arrêté de fumer à l’aide de la varénicline, celles assignées aléatoirement au traitement d’entretien avaient plus de chances d’être non fumeuses 1 an plus tard que celles n’ayant pas suivi de traitement d’entretien8. Chez les personnes souhaitant abandonner le tabac en 12 semaines en réduisant progressivement leur consommation de cigarettes, le taux d’abandon avec un traitement de 24 semaines par la varénicline était plus élevé qu’avec le placebo9,10. Alors que cette méthode d’arrêt progressif est l’une des 3 stratégies posologiques recommandées dans la monographie de la varénicline approuvée par Santé Canada, les personnes inscrites aux régimes d’assurance médicaments publics de l’Ontario ou de la Colombie-Britannique atteindraient le plafond de remboursement à la moitié d’un traitement de 24 semaines9. Quand il est prescrit pour l’abandon du tabagisme, le bupropion est soumis aux mêmes restrictions que la varénicline dans les listes de médicaments remboursés par les régimes provinciaux6.
Les restrictions de la couverture des thérapies d’aide à l’abandon du tabagisme par les assurances médicaments publiques ignorent la propension des rechutes dans le trouble lié à l’usage de tabac. Il est fréquent de s’y reprendre de nombreuses fois, parfois plus de 1 fois par an, avant de réussir à abandonner définitivement le tabac11. La varénicline conserve son efficacité à chaque nouvelle tentative9. En limitant le remboursement à 1 seul traitement (TRN, varénicline ou bupropion) de 12 semaines par année, comme le fait la Colombie-Britannique, on empêche l’instauration d’un deuxième traitement en cas d’inefficacité du premier. De même, la durée limitée prévue par d’autres provinces proscrit les traitements à répétition.
Résultat de ces limites: les personnes souffrant d’un trouble lié à l’usage du tabac sont traitées différemment de celles atteintes d’autres maladies chroniques. Pour la plupart des maladies chroniques, la couverture publique des médicaments est illimitée, sans plafond annuel du nombre d’essais de traitements. Les taux de tabagisme et de mortalité liée au tabac étant élevés chez les personnes atteintes de maladies mentales et d’un trouble lié à l’usage de substances psychoactives, l’accès restreint aux médicaments antitabagiques affecte ces personnes de façon disproportionnée12.
Compte tenu de leur faible coût et de leurs bienfaits cliniques importants, les pharmacothérapies antitabagiques sont rentables13. En Ontario, on estime que le tabagisme est responsable de près de 10 % des coûts des soins de santé14. Les interventions d’arrêt du tabagisme sont peu onéreuses par rapport aux coûts du traitement du cancer, de la maladie pulmonaire obstructive chronique et d’autres maladies chroniques associées au tabagisme. Par exemple, dans le cadre du Programme de médicaments de l’Ontario, la varénicline générique coûte 1,85 $ par jour et la TRN coûte aussi peu que 3 $ par timbre et 0,28 $ par gomme à mâcher lorsqu’elle est achetée en pharmacie. Dans une étude de cohorte pondérée selon le score de propension portant sur près de 590 000 personnes relevant du système des Veterans Affairs des États-Unis sélectionnées en raison de leur consommation de tabac en 2011, le rapport coût:efficacité différentiel des pharmacothérapies antitabagiques s’élevait à 4705 $ US par abandon du tabagisme (toutes pharmacothérapies regroupées) 15. D’autres études ont révélé que l’abandon du tabagisme faisait gagner 2 années de vie en moyenne, ce qui laisse croire que le coût par année de vie gagnée est d’environ 2350 $ US15. Ce rapport coût:efficacité différentiel est inférieur à celui de nombreuses autres interventions médicales15.
L’iniquité en matière de couverture des pharmacothérapies antitabagiques peut et doit être corrigée. Les provinces devraient idéalement offrir un remboursement universel, mais, à défaut, elles devraient supprimer les restrictions temporelles de la couverture de la varénicline et du bupropion, et rembourser les ordonnances de TRN et de cytisine sans limites annuelles ou à vie.
L’élimination des restrictions relatives au remboursement des traitements d’arrêt du tabagisme par les régimes provinciaux d’assurance médicaments aurait plusieurs avantages. Cela permettrait aux bénéficiaires d’obtenir le traitement le plus adapté à leur situation, sans obstacle financier, ainsi que de recevoir du soutien lors de multiples tentatives. Il serait aussi plus facile de prendre des médicaments dans une optique de baisse de la consommation plutôt que d’abstinence. Enfin, ces changements diminueraient la stigmatisation structurelle subie par les personnes atteintes d’un trouble d’usage du tabac, stigmatisation exacerbée par les restrictions actuelles des régimes publics d’assurance médicaments.
Les campagnes de ces 50 dernières années visant à réduire le taux de tabagisme ont été un grand succès de santé publique. Néanmoins, l’accès à des traitements fondés sur des données probantes reste inutilement restreint pour les bénéficiaires des assurances médicaments provinciales. Il est indispensable de combler cette lacune pour permettre à toute personne désirant arrêter de fumer d’accéder aux outils pour y parvenir.
Footnotes
Intérêts concurrents: Robert Kleinman déclare avoir reçu des subventions de recherche provenant du Fonds de la découverte du Centre de toxicomanie et de santé mentale, des bourses de recherche et du soutien à la formation dans le cadre du Programme de bourses de recherche en médecine des toxicomanies (R25DAO33211; Institut national sur les toxicomanies), de même qu’une bourse de voyage de l’American Psychiatric Association (indépendamment des travaux soumis). Peter Selby déclare avoir reçu du financement des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Société canadienne du cancer, de Pfizer Inc., de Pfizer Canada, de l’Ontario Lung Association, de Santé Canada, de la Medical Psychiatry Alliance, du ministère de la Santé et des Soins de longue durée (MSSLD) de l’Ontario, de l’Agence de la santé publique du Canada, de la Fondation de la recherche sur le diabète juvénile et de la Fondation Brain Canada. Le Dr Selby a reçu des honoraires du Partenariat canadien contre le cancer, du Bureau de santé publique de Toronto, de l’Association de dentisterie en santé publique de l’Ontario et du projet ECHO pour des conférences. Il a fait partie du comité consultatif scientifique du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances et du comité consultatif du programme de lutte contre le tabagisme du programme régional contre le cancer d’Action Cancer Ontario, et est membre du conseil consultatif du programme de gérance des opioïdes et de la douleur chronique du projet ECHO Ontario du MSSLD. Il siège au Comité consultatif sur l’abandon du tabagisme de Santé Ontario (Action Cancer Ontario). Le Dr Selby déclare également que, dans le cadre d’un appel d’offres ouvert, Johnson & Johnson, Novartis et Pfizer Inc. sont des fournisseurs attitrés de pharmacothérapies antitabagiques gratuites ou à prix réduit pour des études. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Robert Kleinman a conçu le travail et révisé le manuscrit. Les 2 auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation définitive pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Peter Selby est vice-président en recherche et détient la chaire professorale de recherche Giblon en médecine familiale à l’Université de Toronto. Il est également chercheur principal financé au Centre de toxicomanie et de santé mentale.
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