Abstract
Contexte: L’un des importants objectifs de l’ostéotomie tibiale haute (OTH) est de prévenir ou de retarder le recours à l’arthroplastie totale du genou (ATG). Nous avons voulu estimer la fréquence et le moment de la conversion de l’OTH vers l’ATG et dégager les facteurs associés.
Méthodes: Nous avons évalué de manière prospective les patients atteints d’arthrose du genou, ou gonarthrose, ayant subi une OTH de valgisation par ouverture médiale entre 2002 et 2014 et nous avons analysé l’incidence cumulative des ATG en date de juillet 2019. La présence ou l’absence d’une ATG impliquant le membre soumis à l’OTH a été déterminée à partir des notes de chirurgie orthopédique et des rapports de radiographie des genoux versés au dossier médical électronique de chaque patient du Centre des sciences de la santé de London. Nous avons utilisé des courbes d’incidence cumulative pour évaluer le paramètre principal, soit le temps écoulé avant l’ATG. Nous avons effectué une analyse multivariée à risques proportionnels de Cox pour évaluer les prédicteurs préopératoires potentiels, y compris la gravité de la maladie à la radiographie, le désalignement, l’ampleur de la correction, la douleur, le sexe, l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC) et l’année de la chirurgie.
Résultats: Sur 556 patients ayant subi 643 OTH, l’incidence cumulative des ATG était de 5 % (intervalle de confiance [IC] à 95 % 3 %–7 %) à 5 ans et de 21 % (IC à 95 % 17 %–26 %) à 10 ans. Avec le modèle multivarié à risques proportionnels de Cox, les facteurs préopératoires suivants ont été significativement associés à une augmentation du taux de conversion: gravité de l’arthrose à la radiographie (risque relatif [RR] ajusté 1,96; IC à 95 % 1,12–3,45), douleur (RR ajusté 0,85; IC à 95 % 0,75–0,96), sexe féminin (RR ajusté 1,67; IC à 95 % 1,08–2,58), âge (RR ajusté 1,50 par tranche de 10 ans; IC à 95 % 1,17–1,93) et IMC (RR ajusté 1,31 par tranche de 5 kg/m2; IC à 95 % 1,12–1,53).
Interprétation: Nous avons constaté que 79 % des genoux n’ont pas nécessité une ATG dans les 10 années suivant l’OTH de valgisation par ouverture médiale. Le plus solide prédicteur de la conversion vers l’ATG était la gravité de la maladie à la radiographie faite au moment de l’OTH.
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200934
Le fardeau de la gonarthrose est substantiel, tant pour les patients que pour les systèmes de santé, et il s’alourdit de jour en jour1. La stratégie thérapeutique actuelle, qui repose largement sur l’arthroplastie totale du genou (ATG) pour la maladie avancée, n’est peut-être pas une option viable2–5. La perte de qualité de vie et de productivité due à la gonarthrose chez les personnes d’âge moyen qui sont sur le marché du travail est particulièrement problématique5–8. La prévalence mondiale de la gonarthrose atteint un pic vers la cinquantaine9. Dans le monde, le nombre d’années vécues avec une incapacité est estimé à 2,4 millions chez les moins de 50 ans, l’âge approximatif du pic de prévalence de la gonarthrose9,10. Par conséquent, le nombre de patients d’âge moyen à la recherche d’un traitement pour la gonarthrose, y compris l’ATG, est en hausse11. L’arthroplastie n’est pas nécessairement le traitement le plus approprié pour ces patients12. L’ATG effectuée tôt est associée à l’infection de la prothèse13, à une moindre satisfaction des patients14 et à des chirurgies de révision15–18. Environ 25 % de toutes les ATG sont considérées comme étant « probablement inappropriées »19. Les cliniciens ont observé un vide thérapeutique évident à combler entre la prise en charge non chirurgicale — qui est épuisante — et l’admissibilité à l’ATG; les patients doivent alors vivre avec des années de douleur, une incapacité et une perte de productivité qui ont des coûts5–9,20,21. Il est donc impératif de trouver d’autres traitements efficaces pour soigner les nombreux patients atteints de gonarthrose.
L’OTH de valgisation par ouverture médiale est une chirurgie de réalignement du membre inférieur destinée aux patients dont la gonarthrose affecte le compartiment médial et qui ne sont pas candidats à l’ATG en raison d’une atteinte moins grave, d’un âge moins avancé ou d’exigences physiques plus grandes. Le but de l’OTH est de corriger l’alignement du membre en modifiant la charge imposée au compartiment du genou le plus atteint et de limiter ainsi la progression de l’arthrose22,23. Cette façon de changer substantiellement la mise en charge du genou24,25 a entraîné des améliorations cliniquement importantes de la douleur et du fonctionnement après l’OTH26,27, et l’intervention est économique28,29. Pourtant, cette chirurgie est peu pratiquée au Canada30. Contrairement aux taux élevés et croissants des autres chirurgies du genou, dont l’arthroscopie31 et l’ATG32, le taux de recours à l’OTH demeure faible33,34.
L’ostéotomie tibiale haute peut aider à combler le vide thérapeutique entre les traitements non chirurgicaux et l’ATG définitive. Au Centre des sciences de la santé de London, en Ontario, l’OTH est pratiquée fréquemment, dans le but de prévenir ou de retarder le recours à l’ATG. Il est donc approprié de mesurer la durée des bienfaits conférés par l’OTH et d’analyser les caractéristiques préopératoires associées. Pour le calcul des conversions de l’OTH vers l’ATG, les registres utilisant des données administratives fournissent de volumineux échantillons (> 2500 patients) qui permettent d’estimer l’incidence cumulative de l’ATG30,35,36. Il peut toutefois y avoir des limites à utiliser uniquement des données administratives, notamment lorsqu’il est question de confirmer l’intervention, le membre et le diagnostic. Il manque souvent à ces données les renseignements détaillés générés par l’examen préopératoire, tels que les caractéristiques radiographiques (p. ex., gravité de la maladie et alignement de l’axe du membre inférieur) et les mesures autodéclarées par les patients. Les prédicteurs d’une conversion vers l’ATG précédemment mentionnés, tels que le sexe féminin et l’âge avancé30,35–39, peuvent dépendre d’autres caractéristiques cliniques (variables de confusion) qu’on trouve rarement dans les données administratives. Notre objectif était donc d’étudier l’incidence cumulative de l’ATG après l’OTH de valgisation par ouverture médiale et les prédicteurs potentiels à partir de données recueillies de manière prospective dans un centre canadien qui s’intéresse à l’OTH. Plus précisément, nous avons évalué le temps écoulé avant la conversion de l’OTH vers l’ATG et étudié le lien entre les caractéristiques préopératoires de l’OTH et de l’ATG subséquente.
Méthodes
Conception de l’étude, sources des données et population
Nous avons recruté les patients au Centre des sciences de la santé de London, un grand centre hospitalier universitaire qui sert la population du sud-ouest de l’Ontario. Entre autres cliniques, le programme d’orthopédie du Centre comprend la Fowler Kennedy Sport Medecine Clinic et la Rorabeck Bourne Joint Replacement Clinic, situées sur le campus de l’Université Western; environ 1600 arthroplasties de la hanche et du genou y sont effectuées chaque année. Nous avons évalué de manière prospective les cas aiguillés vers le laboratoire de biomécanique orthopédique Wolf de la Fowler Kennedy Sport Medicine Clinic entre 2002 et 2014. Nous avons suivi les patients de leur inscription jusqu’au 31 juillet 2019, pour obtenir un suivi minimum de 5 ans après leur OTH.
Quatre chirurgiens ont participé à cette étude. Au début de celle-ci, 2 amorçaient leur pratique autonome et 2 étaient déjà bien établis; les chirurgiens avaient tous une surspécialisation internationale en médecine du sport et en orthopédie. Ils pratiquaient tous une technique d’OTH de valgisation par ouverture médiale similaire à celle qui a déjà été décrite en détail27,40 et qui est résumée à l’annexe 1 (accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200934/tab-related-content).
Les patients avaient été aiguillés par d’autres chirurgiens orthopédistes ou par des médecins de premier recours en raison de douleur persistante au genou, d’incapacité ou d’insatisfaction quant aux résultats des traitements non chirurgicaux. Les patients ont été soigneusement examinés par un chirurgien, ce qui comprenait une radiographie du genou — plus précisément un cliché antéropostérieur en position debout du membre entier (de la hanche à la cheville) — pour évaluer son alignement sur le plan frontal au moyen de l’angle de l’axe mécanique (AAM)41,42. Les bons candidats à l’OTH présentaient un genu varum (AAM < 0°), des signes radiographiques d’arthrose au niveau du compartiment fémorotibial médial et une douleur limitée principalement à la portion médiale du genou (décrite par les patients durant l’examen). Les patients qui présentaient des caractéristiques d’arthrose au niveau du compartiment latéral ou fémoropatellaire étaient candidats à l’OTH dans la mesure où la douleur et les anomalies à la radiographie étaient plus marquées au niveau du compartiment médial. Les patients qui présentaient une arthrose terminale à la radiographie dans au moins 2 compartiments du genou étaient orientés vers la clinique d’arthroplastie affiliée puisqu’ils étaient considérés comme étant de piètres candidats à l’OTH.
Paramètre principal et évaluation
Notre paramètre principal était le temps écoulé avant la conversion de l’OTH vers l’ATG. Pour chaque patient de notre cohorte ayant subi une OTH, nous avons relevé la présence ou l’absence d’ATG dans les notes opératoires et les rapports radiologiques versés au dossier médical électronique. Les notes opératoires forment un compte rendu officiel de la chirurgie et comprennent les détails pertinents de l’intervention. Pour notre étude, lorsqu’une ATG avait été effectuée, nous avons noté la date de la chirurgie et le membre opéré, puis avons examiné les radiographies postopératoires des genoux pour confirmer que l’ATG avait été pratiquée sur le membre préalablement soumis à l’OTH. En l’absence de mention d’ATG au dossier, nous examinions les radiographies du genou de la dernière visite de suivi du patient après son OTH afin de confirmer l’absence d’ATG. Les données de suivi cessaient d’être collectées au moment du dernier contact ou du décès, selon le cas43.
Prédicteurs potentiels
Les radiographies et les mesures des paramètres préopératoires autodéclarés par les patients ont été faites dans les 12 semaines précédant l’OTH. Les caractéristiques cliniques comprenaient la gravité de l’arthrose sur l’échelle de Kellgren et Lawrence (KL) à la radiographie avant l’OTH44, l’AAM préopératoire41,42 et le degré de la correction par ostéotomie (en millimètres). Nous avons aussi tenu compte du score de la sous-échelle de douleur KOOS (Knee injury and Osteoarthritis Outcome Score)45. Nous avons inclus également des variables démographiques telles que l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle (IMC), ces variables étant, selon certains rapports, des prédicteurs de la conversion vers l’ATG30,35–39,46–48. Enfin, nous avons inclus la date de l’OTH pour tenir compte de possibles variations ou changements des pratiques avec le temps.
Analyse statistique
Nous avons effectué une analyse de Kaplan–Meier et généré des tableaux de survie avec des intervalles de confiance (IC) à 95 % pour estimer l’incidence cumulative des conversions de l’OTH vers l’ATG en fonction du temps. Nous avons aussi effectué des analyses de Kaplan–Meier sur des sous-groupes selon la gravité de la maladie à la radiographie et selon le sexe. Une analyse concurrente des risques n’a pas été requise parce que le taux de décès était faible dans notre échantillon.
Nous avons conçu un modèle multivarié à risques proportionnels de Cox pour estimer les risques relatifs (RR) et les IC à 95 % pour le temps écoulé avant la conversion de l’OTH vers l’ATG. Nous avons sélectionné les variables prédictives potentielles a priori afin de réduire le risque de surajustement du modèle49. Les variables spécifiques comprenaient la gravité de l’arthrose à la radiographie (grades KL regroupés en KL2 ou moins et KL3 ou 4), l’AAM, le degré de correction (en millimètres), la douleur au genou au départ (score de douleur KOOS par tranche de 10 points), le sexe, l’âge (par tranche de 10 ans), l’IMC (par tranche de 5 kg/m2) et l’année de la chirurgie.
Nous avons évalué l’hypothèse des risques proportionnels en effectuant des graphiques et des calculs statistiques à l’aide de courbes log-log et des résidus de Schoenfeld. Étant donné que certains patients avaient subi une OTH aux 2 genoux, nous avons ajusté la variance à l’échelle des patients pour regrouper les interventions bilatérales en incorporant un estimateur sandwich robuste dans le modèle, et nous assurer un taux d’erreur de type 1 approprié. Nous avons aussi procédé à une analyse de sensibilité incluant uniquement la première OTH chez ces patients.
Nous avons procédé à 2 analyses post hoc. Nous avons répété l’analyse du modèle à risques proportionnels de Cox tout en faisant une stratification par chirurgien, et nous avons mesuré l’effet de l’angle de la correction obtenue avec la chirurgie en répétant l’analyse de Kaplan–Meier primaire pour 3 sousgroupes selon l’AAM postopératoire (< 0° [varus], 0° à 3° [neutre] et > 3° [valgus]). Nous avons aussi répété le modèle de Cox en ajoutant une catégorie de correction dite à angle variable. Nous avons effectué toutes les analyses au moyen du logiciel statistique Stata 16 (StataCorp) avec une valeur p bilatérale de < 0,05 pour indiquer la portée statistique.
Approbation éthique
Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Western pour la recherche en sciences de la santé impliquant des êtres humains.
Résultats
Nous avons sélectionné 725 genoux de patients pour inclusion potentielle. Notre cohorte finale comptait 643 genoux chez 556 patients ayant subi une OTH de valgisation par ouverture médiale, incluant 87 interventions bilatérales en séquence (figure 1). La majorité des patients de notre cohorte étaient de sexe masculin et d’âge moyen, faisaient de l’embonpoint, et présentaient un genu varum, une douleur substantielle au genou et une arthrose modérée à la radiographie au niveau du compartiment tibiofémoral médial (tableau 1)50. Cent trois ATG (16,0 %) ont été effectuées et 6 patients (1,1 %) sont décédés durant le suivi. Parmi les 87 patients ayant subi une ostéotomie en séquence aux 2 genoux, 15 ont par la suite subi une ATG en séquence aux 2 genoux. La durée médiane du suivi a été de 7 ans (écart interquartile [EI] 4–10 ans).
L’incidence cumulative de la conversion vers l’ATG après une OTH était de 5 % à 5 ans et de 21 % à 10 ans (figure 2); cela laisse supposer que 95 % des genoux n’ont pas eu besoin d’une ATG dans les 5 années suivant l’OTH et que 79 % n’en ont pas eu besoin dans les 10 années suivant l’OTH. Les analyses de sous-groupes selon la gravité de l’atteinte à la radiographie et le sexe sont illustrées à la figure 3 et à la figure 4. Nous avons constaté une incidence cumulative de 2 % à 5 ans et de 13 % à 10 ans pour les patients dont la maladie était peu avancée (KL ≤ 2). L’incidence cumulative était de 7 % à 5 ans et de 32 % à 10 ans pour les patientes de sexe féminin. Les tableaux de survie sont présentés à l’annexe 2, tableaux supplémentaires 1–3, accessibles en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.200934/tab-related-content.
Nous avons déterminé qu’une maladie plus grave à la radiographie, une douleur au genou plus intense, le sexe féminin, l’avancée en âge et un IMC plus élevé étaient tous associés à un taux accru de conversion vers l’ATG (tableau 2). La gravité de la maladie à la radiographie s’est révélée le plus solide prédicteur (RR ajusté 1,96; IC à 95 % 1,12–3,45), ce qui laisse penser que, à tout moment, les patients qui présentent une maladie plus avancée à l’OTH sont au moins 2 fois plus susceptibles que les autres de subir une ATG.
Nous avons constaté que l’interprétation des résultats donnait des résultats similaires lorsque l’analyse primaire était répétée après l’inclusion de la première intervention seulement pour les patients ayant subi des interventions aux 2 genoux (annexe 2, tableau supplémentaire 4), et lors de la stratification selon le chirurgien (post hoc; annexe 2, tableau supplémentaire 5). Les analyses post hoc ont semblé indiquer que les risques cumulatifs de conversion vers l’ATG à 5 ans et à 10 ans étaient respectivement de 9 % et de 30 % pour les angles de correction par OTH inférieurs à 0°, de 2 % et de 14 % pour les angles de 0° à 3°, et de 6 % et de 23 % pour les angles supérieurs à 3° (annexe 2, tableau supplémentaire 6). Comparativement aux angles de 0° à 3° (de référence), nous avons observé que les angles de correction inférieurs à 0° étaient associés à un risque accru d’ATG (RR ajusté 1,87; IC à 95 % 1,18–3,00). Même si nos résultats ont suggéré que les angles de correction supérieurs à 3° pouvaient aussi être associés à un taux accru d’ATG (RR ajusté 1,40; IC à 95 % 0,80–2,46), l’intervalle de confiance incluait 1 (annexe 2, tableau supplémentaire 7).
Interprétation
À l’aide d’une analyse du temps écoulé avant la survenue de l’événement, nous avons estimé à 21 % l’incidence cumulative de la conversion de l’OTH de valgisation par ouverture médiale vers l’ATG à 10 ans. Nos observations permettent d’estimer la longévité globale de l’OTH de valgisation par ouverture médiale et n’insinuent d’aucune façon que l’ATG serait une complication ou le signe d’un échec de l’OTH. Nos taux ne diffèrent que légèrement des taux rapportés par des études internationales (Finlande [27 %] et Suède [30 %]) et sont légèrement inférieurs aux taux obtenus dans des études provinciales (Ontario, 33 %) utilisant des données administratives30,35,36. Des différences dans la précision des données administratives par rapport aux données cliniques pourraient expliquer cette légère variation. Plus précisément, le taux précédemment rapporté d’ATG après une OTH en Ontario (33 %) a été décrit comme une surestimation potentielle due à l’incapacité d’apparier le membre soumis à l’ATG au membre soumis à l’OTH à partir de l’ensemble de données administratives30. Il est également possible que le taux que nous avons observé (21 %) soit en fait sous-estimé si certains patients ont eu recours à une ATG à l’extérieur de London après la date d’arrêt de la collecte des données les concernant pour l’étude. Les différences entre les taux rapportés peuvent aussi s’expliquer, entre autres, par les périodes étudiées (première période de 1994 à 201030 c. seconde période de 2002 à 2014), le système d’aiguillage, la technique chirurgicale et la réadaptation. L’incidence cumulative actuelle de l’ATG après l’OTH, soit 5 % à 5 ans et 21 % à 10 ans, concorde avec les taux rapportés par de plus petites études de cohorte, soit 1 à 20 % à 5 ans37,51–55 et 8 à 35 % à 10 ans37,52,55–57.
Nous avons constaté que la gravité de la gonarthrose à la radiographie au moment de l’OTH de valgisation par ouverture médiale était le plus solide prédicteur de conversion vers l’ATG (figure 3 et tableau 2), ce qui concorde avec les observations post-OTH de valgisation par ouverture latérale58. Ces résultats pourraient être considérés comme évidents ou biaisés parce que les patients, en ayant subi leur OTH plus tôt au cours du processus pathologique, ont tout simplement eu plus de temps pour évoluer vers un éventuel besoin d’ATG. Toutefois, l’une des principales raisons de cibler les candidats à l’OTH souffrant d’arthrose symptomatique à un stade moins avancé est qu’il s’agit alors d’une mesure de prévention secondaire pour ralentir la progression de la maladie59. Nos résultats concordent avec cet objectif.
Les symptômes au départ (sous-échelle de douleur KOOS) étaient étroitement associés à la conversion vers l’ATG après l’OTH (tableau 2); à notre connaissance, aucune autre étude n’a produit de données comparatives. L’âge avancé30,35,36,38,39, le sexe féminin30,35–38 et un IMC élevé46–48 sont plus souvent rapportés et significativement associés à un taux accru de conversion vers l’ATG. Dans notre étude, le sexe féminin restait associé à la conversion vers l’ATG après ajustement pour tenir compte d’autres variables non évaluées précédemment. Cette observation mérite d’être approfondie. Même si nos constatations semblent indiquer que des caractéristiques préopératoires sont statistiquement associées à la conversion vers l’ATG (tableau 2) et méritent d’être prises en compte dans le processus décisionnel, ces caractéristiques ne doivent pas nécessairement constituer des contre-indications à l’OTH. En effet, selon nos résultats, 75 % des patients ayant un grade KL ≥ 3 et 68 % des femmes n’ont pas eu recours à l’ATG dans les 10 années suivant leur OTH (figures 3 et 4).
Les chirurgiens de notre étude ont utilisé une approche chirurgicale de réalignement relativement conservatrice, en créant un valgus de neutre à très léger plutôt qu’en surcorrigeant avec un valgus substantiel. Les résultats des analyses post hoc ont généralement concordé avec un taux moindre de conversion vers l’ATG chez les patients ayant obtenu une correction en valgus de 0° à 3° au moyen de l’OTH, comparativement à une correction plus légère ou plus marquée. Il faut toutefois rappeler que ces observations sont pour l’instant exploratoires (annexe 2, tableaux supplémentaires 6 et 7).
La conversion vers l’ATG après une OTH n’est pas le seul paramètre important à considérer. De récentes études sur des patients similaires soumis à la même intervention font état de taux de complications faibles et d’améliorations appréciables, soutenues et cliniquement importantes de la biomécanique de la démarche, ainsi que des paramètres autodéclarés par les patients et des résultats axés sur le fonctionnement après l’intervention27,60. Une revue systématique et méta-analyse de 2020 a conclu que l’OTH n’affecte pas négativement l’éventuelle ATG61. Même si l’intervention vise à ralentir la progression de l’arthrose et à retarder l’ATG, nous ne connaissons aucun essai randomisé et contrôlé publié ayant comparé l’OTH à d’autres traitements non chirurgicaux62.
L’une des forces de notre étude est son modèle prospectif, qui incorpore des variables de référence pouvant être utilisées lors de la planification préopératoire et étant en général impossibles à inclure dans des études menées à partir de données administratives. Les suivis cliniques prospectifs alliés aux dossiers cliniques nous ont permis de générer des estimations précises de la conversion vers l’ATG. De plus, la taille relativement volumineuse de l’échantillon nous a permis d’estimer plus précisément l’incidence cumulative à 5 et à 10 ans. Ajoutons que le nombre d’événements nous a donné une plus grande liberté, ce qui nous a permis d’évaluer plus de prédicteurs sans risquer de surajuster le modèle.
Limites
Il est possible qu’un petit nombre de patients aient demandé une ATG à l’extérieur de London après la date d’arrêt de la collecte des données de l’étude; par conséquent, le taux de conversion de l’OTH vers l’ATG mentionné ici devrait être envisagé à l’intérieur de l’éventail des taux précédemment publiés. Un biais de sélection est aussi possible parce que les patients étaient le plus souvent aiguillés par d’autres chirurgiens orthopédistes ou par des médecins de premier recours connaissant l’existence de l’OTH. Les patients de notre étude pourraient avoir été de meilleurs candidats à l’OTH ou été mieux disposés à participer à des études à long terme comparativement à l’ensemble des patients admissibles à l’intervention. La généralisabilité de nos résultats pourrait se limiter aux régions similaires, où l’OTH est souvent offerte et effectuée. Toutefois, les caractéristiques de référence de notre échantillon étaient semblables à celles relevées dans d’autres études de population basées sur des données administratives, et dans l’ensemble, les données d’incidence cumulative ne sont que légèrement différentes30,35,36, ce qui laisse supposer qu’une longévité comparable pourrait être observée si des interventions du même type étaient adoptées par d’autres établissements canadiens. La durée du bienfait conféré par l’OTH peut dépendre d’autres aspects de l’intervention chirurgicale et de caractéristiques individuelles sur lesquels nous ne nous sommes pas penchés. En terminant, la décision de subir une ATG peut dépendre de facteurs sociaux et géographiques que nous n’avons pas évalués63–65.
Conclusion
Nous avons constaté que 95 % des patients subissant une OTH à notre centre n’ont pas besoin d’une ATG dans les 5 années qui suivent, et 79 % n’en ont pas besoin dans les 10 années qui suivent. Le plus solide prédicteur d’une conversion vers l’ATG est la gravité de la gonarthrose à la radiographie au moment de l’OTH. Ces observations appuient le recours à l’OTH de valgisation par ouverture médiale chez les patients qui ont un alignement en varus et une gonarthrose touchant le compartiment médial pour prévenir ou retarder le recours à une ATG définitive.
Footnotes
Intérêts concurrents: Trevor Birmingham, Bert Chesworth, Dianne Bryant et J. Robert Giffin ont reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Société de l’arthrite pendant la réalisation de l’étude. Kevin Willits a reçu des subventions de Smith & Nephew indépendamment des travaux soumis. Robert Litchfield a reçu des honoraires personnels de ConMed Linvatec, Smith & Nephew, DePuy et Arthrosurface et des subventions de Smith & Nephew et DePuy indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Codie Primeau, Trevor Birmingham, Jacquelyn Marsh, Bert Chesworth, Dianne Bryant et J. Robert Giffin ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude. Codie Primeau, Kristyn Leitch, Kevin Willits, Robert Litchfield, Peter Fowler et J. Robert Giffin ont contribué à l’acquisition des données. Codie Primeau, Trevor Birmingham, Jacquelyn Marsh, Bert Chesworth, Stephanie Dixon et J. Robert Giffin ont contribué à l’analyse des données et à l’interprétation des résultats. Codie Primeau et Trevor Birmingham ont rédigé la première version du manuscrit; tous les autres auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit. Tous les auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Cette recherche a en partie été menée grâce au financement des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Société de l’arthrite, du Programme des chaires de recherche du Canada (TBB) et d’une bourse de formation transdisciplinaire décernée à Codie Primeau par le Bone and Joint Institute de l’Université Western.
Partage des données: Les données anonymisées de l’étude peuvent être mises à la disposition d’autres chercheurs sur demande adressée à l’auteur de correspondance et moyennant la conclusion d’une entente de partage de données.
Avis: Tous les auteurs étaient indépendants des organismes subventionnaires. Ces organismes n’ont aucunement participé à la conception de l’étude, à la collecte des données ni à l’analyse ou à l’interprétation des données ou à la rédaction du manuscrit.
- Accepted November 10, 2020.
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