Les systèmes de santé canadiens n’ont jamais reconnu la place centrale des pratiques et des cérémonies de guérison traditionnelles dans la culture et l’identité des Autochtones. Cet échec remonte à certaines politiques coloniales, comme les modifications apportées en 1885 à la Loi fédérale sur les Indiens (qui ont resté en vigueur jusqu’en 1951) interdisant de célébrer des cérémonies autochtones comme celles du Potlach et de la Danse du Soleil1. De même, les formes de connaissances médicales faisant autorité ont évolué sans prendre en compte les besoins culturels des peuples autochtones2. Un cadre politique récent pourrait favoriser une approche plus inclusive des soins de santé pour les Autochtones du Canada qui accordent de l’importance aux cérémonies, aux enseignements fondés sur la terre, à l’affirmation identitaire et aux liens familiaux et communautaires comme faisant partie de la santé et de la guérison1–3.
Le 22e appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada énonce:
Nous demandons aux intervenants qui sont à même d’apporter des changements au sein du système de soins de santé canadien de reconnaître la valeur des pratiques de guérison autochtones et d’utiliser ces pratiques dans le traitement de patients autochtones, en collaboration avec les aînés et les guérisseurs autochtones, lorsque ces patients en font la demande4.
Cet appel concorde avec l’article 24(1) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, selon lequel:
Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux …5
Le 21 juin 2021, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale du gouvernement du Canada, qui s’est engagé expressément à l’appliquer pour encourager « la réconciliation, la guérison et des relations de coopération durables6 ». Néanmoins, le chemin vers la réconciliation est complexe et souvent ardu, comme l’illustre une collaboration clinique au sein du territoire non cédé de Wikwemikong sur l’île Manitoulin au nord-est de l’Ontario.
En janvier 2014, des patients qui suivaient un traitement de méthadone dans la petite ville ontarienne de Little Current, située à 45 minutes en voiture de leur résidence à Wikwemikong, ont été informés que la clinique qui offrait ce traitement allait fermer ses portes le 15 février 2014 en raison d’un nouveau règlement de zonage municipal. Ce dernier était motivé par des plaintes de commerçants de Little Current, qui craignaient que la clinique située au centre-ville ne fasse fuir leur clientèle, une altercation physique entre des patients s’étant produite dans l’espace public. Compte tenu de la fermeture, une clinique ontarienne située à Espanola, à 1 heure de route, a accepté de recevoir une partie de la patientèle; les autres ont été transférés à une autre clinique de la province située à 2 heures de route, à Sudbury7.
Les autorités de Wikwemikong ont cherché une solution locale plus acceptable pour leur communauté. Elles ont consulté cette dernière pour élaborer un plan d’action qui comblerait les lacunes dans les services, dont l’absence de counseling et le besoin d’un modèle de cercle de soins holistique avec un plan de bienêtre individualisé, du counseling continu, des consultations et des méthodes de guérison traditionnelles8. Ce plan s’est concrétisé avec le Centre de santé Sunrise, qui a ouvert ses portes en mai 2014 grâce à un partenariat entre un groupe de médecins, les autorités de Wikwemikong et des équipes de guérison traditionnelle. Ces personnes ont proposé un traitement à la méthadone ou à la buprénorphine/naloxone associé à de la gestion de cas, du counseling, des consultations continues et la possibilité de recourir aux méthodes de guérison traditionnelle8,9.
Le Centre de santé Sunrise s’est toutefois heurté à un obstacle majeur au bout de 18 mois: en automne 2015, le ministère de la Santé et des soins de longue durée de l’Ontario a annoncé la baisse des honoraires facturables pour les tests obligatoires de dépistage urinaire de la méthadone, un examen représentant 30 % des revenus de l’établissement. Les activités opérationnelles en ont été affectées au point que les médecins ont décidé de fermer le centre de santé, laissant une fois encore les personnes dépendantes aux opiacés sans option thérapeutique de proximité9. Les autorités de Wikwemikong ont alors fait une nouvelle tentative avec un projet de structure administrative, plus durable, intégrant des options thérapeutiques occidentales et traditionnelles3,9.
En 2015, les autorités de Wikwemikong ont collaboré avec un médecin et un pharmacien pour exercer leur autodétermination en santé en créant le centre de santé Naandwe Miikan (qui signifie « le chemin de la guérison »)3, un nom qui symbolisait une nouvelle approche et une nouvelle étape dans le processus de guérison de la toxicomanie au sein de la Première Nation Wikwemikong. La communauté, propriétaire du centre de santé, s’est engagée à assurer les coûts d’exploitation pour rompre avec la fragilité de l’ancien modèle de financement3. Elle a également amélioré la gestion de cas avec un modèle holistique plus robuste où la clientèle rencontre des aînés ou des aînées, des équipes de guérison traditionnelle et leurs proches aidants — jouant un rôle d’assistants — dans le cadre d’activités fondées sur le lien avec la terre comprenant l’apprentissage des remèdes traditionnels, la chasse, la pêche et des enseignements basés sur la nature. Les personnes-conseils du programme mettent la clientèle en relation avec des ressources communautaires, notamment en éducation, en emploi et en formation. Le témoignage d’un client exprime parfaitement la réussite du programme:
Honnêtement, il y a un peu plus de 1 an, j’avais atteint le fond du baril. J’étais vraiment à mon nadir. Vivre ou mourir, ça n’avait aucune importance. J’ai dû faire 3 surdoses en 1 semaine, mais je continuais dès que je me réveillais. Je faisais une surdose et je recommençais immédiatement. J’allais mal. J’essaie de mettre cette vie derrière moi, et ce programme m’a énormément aidé. Pas seulement la méthadone, mais aussi le counseling … . Chaque jour de purification par la fumée a aussi aidé. Je pense que c’est là que j’ai enfin commencé à ouvrir les yeux3.
Cette collaboration intégrant un cadre de savoir amélioré en matière de guérison autochtone à la biomédecine se poursuit depuis 7 ans. Le cadre de guérison est basé sur la reconnaissance des aspects physiques de celle-ci et sur le soutien à la personne dans toutes les dimensions du rétablissement, notamment la reconstruction des familles brisées par la toxicomanie et la réinsertion par l’emploi, l’éducation ou la formation. La clientèle est accompagnée dans son parcours par des membres de la communauté participant avec elle aux activités culturelles. Selon la tradition, les personnes ont une capacité de guérison innée provenant de leur feu intérieur, qui est ravivé par le renouement avec la terre, la famille et la communauté et la responsabilisation personnelle pour compléter les traitements pharmaceutiques. Pour le centre de santé Naandwe Miikan, « … le succès se révèle lorsque les personnes poussent la porte », car elles acceptent alors leur dépendance aux substances psychoactives et empruntent le chemin de la guérison3. Le prochain défi du programme est une évaluation factuelle autodéterminée3.
Le centre de santé Naandwe Miikan illustre un mouvement allant à contresens de siècles d’oppression. Pour que le Canada concrétise son engagement envers une réconciliation durable, plus d’efforts sont nécessaires pour reconnaître les recoupements pertinents entre la médecine traditionnelle et occidentale, comme la collaboration dans un modèle de soins partagés envisageant la guérison au-delà de l’enveloppe corporelle et réparant les fractures des identités et du patrimoine culturels. La formation des médecins sur le soutien tacite de leur profession envers les pratiques coloniales, à savoir l’exclusion de la guérison traditionnelle, pourrait être un moteur de changement futur. Ce serait aussi le moyen d’ouvrir le dialogue sur le racisme épistémique, qui demeure un obstacle à l’intégration de la médecine traditionnelle aux pratiques biomédicales occidentales2,10.
Le centre de santé Naandwe Miikan montre que des associations créatives entre médecine traditionnelle et occidentale peuvent durer et que des modalités de financement au-delà des régimes provinciaux d’assurance maladie peuvent être nécessaires. Le temps nous dira si le gouvernement fédéral adoptera des mesures transformatrices pour mettre en œuvre le volet relatif à la guérison traditionnelle de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ou s’il maintiendra le statu quo.
Footnotes
Intérêts concurrents: Darrel Manitowabi est membre de la communauté Wikwemikong et fait partie d’un projet de recherche en cours financé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Ce projet a été lancé à l’École de médecine du Nord de l’Ontario (Université de l’EMNO).
Cet article a été révisé par des pairs.
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